Mon intervention au nom du groupe écologiste concernant le « débat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine. » 10.12.13

À l’occasion  du débat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine, je suis intervenue en séance publique le10 décembre 2013. Le compte-rendu intégral des débats est également consultable sur le site du Sénat.

Veuillez également trouver la vidéo de mon intervention ici

Séance publique, mardi 10 décembre 2013

Kalliopi ANGO ELA, sénatrice écologiste

représentant les Français établis hors de France

 

 

 

Monsieur le président,

mesdames, messieurs les ministres,

monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,

mes chers collègues,

 

 

Nous sommes aujourd’hui réunis en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution. Je tiens, à titre liminaire, à rappeler la position des écologistes, qui aspirent, concernant cette intervention en Centrafrique et, plus largement, les interventions de nos forces à l’étranger, à ce que nos débats puissent être suivis d’un vote de nos deux assemblées.

En l’espèce, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, jeudi dernier, le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, pour une période de douze mois. En adoptant à l’unanimité de ses quinze membres la résolution 2127, le Conseil a confié un mandat en plusieurs volets à cette mission.

Appuyée par des forces françaises autorisées à « prendre temporairement toutes mesures nécessaires », la MISCA est notamment chargée de contribuer à protéger les civils et à rétablir la sécurité et l’ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d’une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Avant de revenir plus en détail sur les diverses dispositions de cette résolution onusienne et sur la place centrale qui doit être donnée aux forces africaines dans cette opération, il me semble important de rappeler le drame qui se vit depuis déjà trop longtemps en République centrafricaine.

Depuis la prise de Bangui par la Séléka au printemps dernier, la RCA est le théâtre de pillages, d’exactions et de violences atroces à l’égard de la population civile. La situation dramatique qui touche le pays s’est aggravée ces dernières semaines, plongeant la Centrafrique dans des violences meurtrières ayant entraîné la mort de près de 400 personnes jeudi et vendredi à Bangui.

La Croix-Rouge centrafricaine ramassait toujours, samedi, des dizaines de cadavres abandonnés depuis les violents affrontements des jours précédents, suivis de tueries à l’arme à feu ou à la machette. Des centaines de blessés étaient également comptabilisés par Médecins sans frontières. Les violences sexuelles à l’encontre des femmes se sont également multipliées, tandis que des enfants ont été enrôlés comme soldats depuis plusieurs semaines.

Face à cette situation inacceptable, il était urgent de réagir. Les écologistes tiennent ici à réaffirmer que la capacité des pays africains à assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien international et particulièrement le soutien européen.

Si nous saluons l’aide logistique annoncée par plusieurs États européens au profit de la MISCA et l’annonce de l’octroi de 50 millions d’euros par l’Union européenne, à la demande de l’Union africaine, nous regrettons que la France soit à nouveau seule à intervenir dans le cadre du soutien à cette opération. L’urgence humanitaire et sécuritaire requiert un soutien collectif de nos partenaires européens, afin de protéger la population centrafricaine et de rétablir la sécurité et la stabilité du pays.

Au-delà, et c’est l’essentiel selon moi, cette opération en Centrafrique doit reposer sur l’engagement des forces africaines et leur nécessaire implication, ainsi que sur celle de l’Union africaine.

Je me félicite, à ce sujet, que lors des travaux du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, les chefs d’État et de Gouvernement aient « appelé à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies permettant de renforcer la place de l’Afrique dans le cadre d’un Conseil élargi ». Avec eux, je me réjouis également « des avancées importantes réalisées par l’Union africaine, les communautés économiques régionales et les États africains dans la mise en œuvre d’opérations de paix africaines, au Mali, en République centrafricaine, en Somalie, en Guinée-Bissau, au Burundi, au Soudan (Darfour), aux Comores. Ces initiatives apportent des solutions africaines aux problèmes africains et doivent être soutenues par la communauté internationale. »

Les sénatrices et sénateurs écologistes réaffirment donc aussi « l’importance de développer les capacités africaines de réaction aux crises » et saluent l’engagement de la France, lors de ce sommet, à « soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le sommet de l’Union africaine en mai 2013. »

Par ailleurs, il me semble important de rappeler que, par la résolution 2127, le Conseil de sécurité prie le secrétaire général de l’ONU de créer un fonds d’affectation spéciale par lequel les États membres, les organisations internationales, régionales et sous-régionales pourront verser des contributions financières à la Mission.

La résolution lui demande également de créer rapidement une commission d’enquête internationale, pour une période initiale d’un an, chargée d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme qui auraient été perpétrées en Centrafrique « par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013. Les signalements de violences, y compris interconfessionnelles ou intercommunautaires, n’ont en effet cessé de se multiplier au cours de l’année écoulée.

Je soulignerai enfin que la résolution instaure aussi, pour une période initiale d’un an, un embargo pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert à la RCA d’armements et de matériels connexes de tous types. Un comité des sanctions sera chargé, en particulier, de veiller au respect, par tous les États membres, dudit embargo.

Les écologistes seront particulièrement attentifs à ces deux derniers points.

Cet engagement des forces françaises en Centrafrique en soutien à la MISCA, sous mandat de l’ONU, et à la demande du gouvernement centrafricain, de la société civile de RCA et des États voisins, est donc une étape nécessaire en vue d’éviter une catastrophe humanitaire.

Cependant, nous devons, toutes et tous, prendre la pleine mesure de la complexité de la situation géopolitique en République centrafricaine. Le mauvais état des routes et des pistes, la diversité des groupes armés, rejoints par des brigands, des bandits de grand chemin et des groupuscules crapuleux, sur fond de conflits interreligieux, rendent extrêmement compliquée la tâche de la MISCA et de nos forces armées.

Il est, dès lors, difficile de déterminer de façon précise qui agit, d’autant que nous sommes face à plusieurs groupes armés évanescents, qui risquent de se reconstituer aussi vite qu’ils seront dissous. Il s’agit donc de ne pas tomber dans l’écueil d’une vision binaire « Séléka » contre « anti-balaka », ou « musulmans » contre « chrétiens », là où la situation est beaucoup plus complexe. Notons que de nombreux Centrafricains d’obédience musulmane se désolidarisent clairement de la Séléka – déjà fort morcelée – à laquelle ils ne souhaitent pas être assimilés.

Dans ce contexte, il nous appartient de faire preuve de précaution, a fortiori en raison de la perméabilité des frontières avec les États voisins. Les enjeux géostratégiques sont de taille, le risque étant que la RCA ne devienne une base arrière de groupes plus radicaux déstabilisant ou infiltrant toute la région de l’Afrique centrale.

Si les grandes villes pourront, à terme, être mieux sécurisées, ainsi que les grands axes, tels que l’axe Bangui-Douala, l’instauration d’une paix et d’une sécurité durables risque d’être plus délicate à obtenir et à consolider dans les vastes zones difficiles d’accès que compte le pays.

Je salue d’ailleurs le courage et l’engagement des soldats de la MISCA et des troupes françaises. Notre groupe tient également à rendre un profond hommage aux deux militaires français du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres tués cette nuit en opération à Bangui.

Cette intervention s’annonce malheureusement longue, difficile, dangereuse et d’une complexité sans précédent. Comme pour l’intervention au Mali, la phase militaire devra laisser au plus vite la place à la phase politique, puis au temps du développement, mais la différence résulte dans le contexte particulier de la Centrafrique, où l’État est particulièrement affaibli depuis de nombreuses années, voire quasi inexistant.

Dans ce contexte, la reconstruction de l’État centrafricain sera le préalable nécessaire à sa stabilité et à l’organisation d’élections démocratiques, dans un pays où les archives administratives et l’état civil ont été détruits. Une fois la paix rétablie, ce que nous appelons évidemment tous de nos vœux, et rapidement, quid de la constitution de listes électorales ? Le processus n’est pas simple. Les difficultés seront multiples et nous devons d’ores et déjà les envisager.

Enfin, nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’objectif de paix et de sécurité en Centrafrique sans aborder l’ultime et nécessaire étape du développement, de la lutte contre la pauvreté, qui a d’ailleurs été intégrée au sommet de l’Élysée, sur l’initiative du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et du ministre délégué chargé du développement, Pascal Canfin.

Cette étape de reconstruction sociale et économique passera par l’aide au développement, qui nécessitera une mobilisation de tous les acteurs. Il s’agira de mettre tout en œuvre avec les autres États européens, l’Union européenne et l’ensemble de la société internationale, pour parvenir à un système de partenariat et de développement associant le futur État centrafricain reconstruit et consolidé, la société civile, les organisations régionales africaines, les États africains et les ONG.

En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je pense bien entendu aussi aux Français en Centrafrique, qui, lorsqu’ils n’ont pu y rester, ont dû rentrer en France ou s’installer dans d’autres pays africains au printemps dernier.

L’intervention militaire ne suffira évidemment pas à résoudre tous les problèmes d’un pays extrêmement pauvre.

Je conclurai en citant Vassilis Alexakis, un écrivain d’origine franco-grecque amoureux de Bangui. Dans son ouvrage Les Mots étrangers, il fait une quête, l’apprentissage du sango. Pour apprendre cette langue rare, avec laquelle il n’avait pas de lien, l’auteur décide d’un voyage à Bangui. Et il écrit : « La mort aussi se lève de bonne heure à Bangui. J’ai mis du temps à me remettre de cette révélation ». J’ajouterai que, depuis le 24 mars dernier, elle ne cesse malheureusement de se lever de bonne heure pour les Centrafricains.

Afin que cela cesse au plus vite, le groupe écologiste soutiendra l’engagement des forces armées en République centrafricaine.

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