Accords fiscaux relatifs à Oman et Aruba : mon intervention en hémicycle du 07.02.13

Le 7 février s’est tenue au Sénat la séance publique relative au « projet de loi adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale » ( Dossier législatif ), et au « projet de loi adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions » ( Dossier législatif ). C’est Monsieur Pascal Canfin, Ministre délégué chargé du développement, qui représentait le Gouvernement lors de l’examen commun de ces deux accords internationaux en séance publique. Contrairement aux procédures simplifiées habituelles, un débat a été demandé. Aussi, vous retrouverez, ci-dessous ou également en cliquant ici, mon intervention durant la discussion générale commune sur les deux conventions fiscales, ainsi que celle du Ministre, Monsieur Pascal Canfin, prononcée en clôture de la discussion générale commune.

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Mon intervention en discussion générale

 Séance du 7 février 2013

 

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

Il n’est pas anodin que la lutte contre les paradis fiscaux ne soit véritablement devenue un sujet de préoccupation – pour les dirigeants et les instances internationales – qu’en 2009, au cœur de la tourmente financière.

La virtualité de l’économie abritée par les paradis fiscaux, qui fait, par exemple, des îles anglo-normandes le premier importateur de bananes en Europe, incarne en effet à merveille la déraison d’un système que tout le monde s’accorde désormais à dénoncer.

Toutefois, à se focaliser sur la lutte contre les paradis fiscaux, il ne faudrait pas oublier que si ces petits Etats nous posent un problème, c’est uniquement parce qu’il se trouve, parmi nos multinationales les plus florissantes et nos ressortissants les plus fortunés, certaines personnes – physiques ou morales-  désireuses de s’affranchir des règles collectives qui fondent notre société, en ne  payant pas leurs impôts.

En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, permettez-moi d’ailleurs de déplorer que les quelques personnalités dont l’inconduite est aujourd’hui médiatisée puissent causer autant de tort aux Français de l’étranger, dont les choix de vie n’altèrent en rien le sens civique pour l’immense majorité d’entre eux – souvent, même, au contraire…

En ce qui concerne les sociétés, parmi toutes les multinationales, les banques endossent une responsabilité particulière : en tant qu’intermédiaires financiers, elles sont un vecteur privilégié de l’évasion fiscale de nombreux autres acteurs économiques. A cet égard, nous pouvons tous – je crois – nous féliciter qu’hier soir, à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, les députés écologistes Eric Alauzet et Eva Sas soient parvenus à faire adopter un amendement à la réforme bancaire, imposant aux établissements financiers de décrire dans leur rapport annuel, pays par pays, la nature de leurs activités, leur nombre de salariés et leur chiffre d’affaires.

La pression du lobby bancaire n’a pas encore permis d’obtenir que soient également mentionnés le bénéfice net et le montant de l’impôt, mais je ne doute pas que les députés en séance, puis nous-mêmes, mes chers collègues, saurons prendre à cet égard toutes nos responsabilités. Les Français ne comprendraient effectivement pas pourquoi nos banques, qui se prétendent si vertueuses, redouteraient d’indiquer le montant des bénéfices qu’elles réalisent et celui des impôts qu’elles acquittent aux Bermudes ou aux îles Caïmans.

S’il ne faut donc pas oublier que les paradis fiscaux ne pourraient prospérer sans nos propres turpitudes, il n’est pour autant pas illégitime de chercher à encadrer leurs pratiques.

De ce point de vue, la ratification de conventions bilatérales d’échanges de renseignements fiscaux peut constituer un outil utile, dès lors que l’on peut s’assurer que l’accord sera réellement appliqué et qu’il n’aura pas pour seule conséquence d’offrir un blanc-seing à l’état co-contractant, en lui permettant de disparaître des listes stigmatisant les pays considérés comme non-coopératifs.

En ce qui concerne Aruba, petite île de souveraineté néerlandaise située au large du Venezuela, nous disposons d’un certain nombre de garanties. Membre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales – institution placée sous l’égide de l’OCDE -, Aruba a été récemment évaluée sur son cadre normatif, c’est-à-dire sa capacité administrative et juridique à répondre aux requêtes qui pourraient lui être adressées dans le cadre des accords d’échange d’informations. Sur 9 critères évalués – chacun par une note à trois niveaux – elle a obtenu 4 fois la meilleure note et 5 fois la note intermédiaire.

Des progrès restent possibles, mais tout cela semble témoigner d’une certaine bonne volonté de la part des autorités d’Aruba.

En outre, l’île ne figure aujourd’hui plus sur aucune liste de paradis fiscaux. Il semble donc aux sénatrices et sénateurs écologistes, que rien ne s’oppose à la ratification de cette convention avec la France, qui devrait permettre d’entamer avec Aruba une réelle forme de coopération.

En ce qui concerne le sultanat d’Oman, la situation nous paraît beaucoup moins évidente.

Comme souvent dans les pétro-monarchies, la fiscalité des sociétés comme des particuliers y est assez légère. Dans un contexte de revendications politiques et sociales naissantes, il ne faudrait pas que ce pays soit tenté de trouver dans le jeu de la concurrence fiscale internationale une solution de facilité pour suppléer une économie pétrolière dont les réserves d’hydrocarbures sont prévues pour s’épuiser d’ici 15 ans…

La convention fiscale qui lie la France et Oman depuis 1989 ne comprend aucune clause d’échanges d’information. L’introduction d’une telle clause, qui nous est proposée aujourd’hui, pourrait donc aller dans le sens de davantage de transparence.

Toutefois, très peu d’éléments nous permettent de nous assurer que le cadre normatif du sultanat est suffisamment adapté. Si le droit omanais semble protéger assez peu les personnes morales et ne serait donc a priori pas excessivement propice à la dissimulation d’activités coupables, il est pour le moins intrigant de voir qu’Oman n’a pas adhéré au Forum mondial de l’OCDE, ce qui le dispense des évaluations auxquelles se soumettent aujourd’hui, fussent-elles mauvaises, la plupart des pays.

Les écologistes sont donc particulièrement sceptiques quant à l’engagement vertueux du sultanat d’Oman. Pourriez-vous nous dire, Monsieur le Ministre, si l’adhésion d’Oman au Forum mondial a fait l’objet de sollicitations expresses de la part de la France, dans le cadre de la négociation qu’elle a menée, et si le Gouvernement compte à l’avenir agir en ce sens ? Le fait que la ratification de cette convention ait pour conséquence de sortir Oman de la liste des paradis fiscaux nous confère en effet une responsabilité particulière quant à l’évaluation de la réalité de cet accord.

Sous toutes ces réserves, les sénatrices et sénateurs écologistes ont choisi de faire confiance au Gouvernement en approuvant également cette convention. Le fait que la France n’ait pas hésité à inscrire temporairement Oman sur sa liste de paradis fiscaux nous a semblé écarter la crainte que ne prévale une trop grand mansuétude liée aux enjeux économiques et géopolitiques.

Néanmoins, la plus grande vigilance s’imposera donc dans le suivi de cet accord et il conviendra évidemment de procéder à la réintégration d’Oman à la liste des paradis fiscaux s’il s’avérait qu’il ne respectait pas ses obligations. Son adhésion au Forum mondial pourrait également permettre d’atténuer les suspicions.

Pour ce suivi, les parlementaires pourront désormais s’appuyer sur le rapport annuel, annexé, depuis peu, au Projet de loi de finances initiale, portant sur le réseau conventionnel français en matière d’échanges de renseignements. On y trouve, pour chaque pays faisant l’objet d’un accord avec la France, le nombre de requêtes adressées par nous et le nombre de réponses reçues.

Il découle de sa lecture – instructive – que le Luxembourg et la Suisse ne répondent qu’à la moitié des requêtes adressées par l’administration fiscale française, et la Belgique à aucune, alors que les Bermudes ou les îles anglo-normandes ont toujours répondu ! Pour les écologistes, c’est bien d’abord chez nos voisins, plutôt que dans des juridictions lointaines, que devrait se concentrer la lutte contre les paradis fiscaux. Il paraît vraiment intolérable qu’une part  importante de l’évasion fiscale que nous avons à subir trouve, aujourd’hui, refuge dans nos pays frontaliers, au cœur même de l’Europe politique.

Là encore, pourriez-vous nous dire, Monsieur le Ministre, quelles voies politiques compte emprunter la France pour s’attaquer au scandale de cette délinquance fiscale intra-européenne et au non-respect des clauses de certaines de ses conventions bilatérales ?

Je vous remercie.

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Intervention de Monsieur Pascal Canfin, ministre délégué.

 

Je vous remercie de vos remarques, mesdames, messieurs les sénateurs. Même si la lutte contre les paradis fiscaux se poursuit, beaucoup reste à faire, et le Gouvernement en a parfaitement conscience. Les exemples que vous avez relevés montrent l’étendue du chemin qu’il reste encore à parcourir.

Vous avez posé des questions précises, madame Ango Ela, sur les négociations avec Oman et les conséquences du retrait de ce pays de la liste des paradis fiscaux. Sachez que les négociations ont eu lieu avec le Sultanat entre 2008 et 2012 et que la France n’a pas demandé son inscription au Forum mondial. Reste que si des pratiques à risques avaient eu cours, elles auraient pu être relevées par ledit Forum, même si ce pays n’en est pas membre. Cela s’est produit pour la Macédoine en 2010.

Le gouvernement de l’époque a considéré que s’il n’y avait pas eu de demande particulière faite à l’échelon international et que si aucun risque particulier n’avait été relevé, la France pouvait se contenter de l’état existant.

Cela étant, il va de soi, comme l’ont souligné l’ensemble des intervenants, que, ce qui compte, au-delà de la signature de la convention, c’est l’effectivité des échanges d’informations. Cela signifie que la France pourra à tout moment inscrire ou réinscrire les pays concernés sur sa liste si les engagements qui ont été pris dans le cadre de ces conventions n’étaient pas respectés. Je le répète, nous accorderons une grande importance à la mise en œuvre effective des échanges d’informations.

Pour conclure, je dirais que du travail reste encore à faire dans le cadre de l’OCDE pour améliorer les conventions-cadres et tirer les bénéfices de l’expérience entamée depuis quelques années. Depuis 2008-2009, le nombre de conventions fiscales explose. Un bilan est donc nécessaire, vous avez tout à fait raison. Il faut sans doute améliorer les cadres généraux des relations bilatérales.

Comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice, les juridictions non coopératives ne sont pas forcément des endroits exotiques. Certaines ne sont pas très éloignées de notre propre territoire. Cette situation suppose d’autres règles européennes. À cet égard, la France est en pointe en ce qui concerne la directive Épargne et sa renégociation. Toutefois, vous savez aussi bien que moi que plusieurs pays n’ont pour l’instant pas encore renoncé à certains comportements. Nous continuons donc à travailler sur ce sujet.

Le combat contre l’évasion fiscale est extrêmement important et nous savons que nous pouvons compter sur le soutien de l’ensemble des groupes politiques pour le mener.

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