L’interview que m’a consacré le Journal du Cameroun le 13 avril 2010
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Cameroun: Kalliopi Ango Ela défend la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale
Par Emérant Koulou Etoa et Joël Mamann, integrationafrique.com – 13/04/2010
Veuve de Paul Ango Ela, elle vit et travaille au Cameroun depuis 23 ans et à travers cette fondation, continue les combats de son mari
Si on vous posait la question de savoir qui est Madame Ango Ela, que diriez-vous?
Je dirais que je suis une femme de 47 ans, mère de 2 enfants, enseignante en histoire-géographie, qui dirige une Fondation de géopolitique qui s’appelle la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale. Je vis au Cameroun depuis 23 ans bientôt.
Pourquoi avoir décidé de rester au Cameroun après le décès de votre illustre époux, alors qu’il vous était possible de retourner au pays natal?
Oui! C’était possible de vivre dans mon pays d’origine, mais c’était aussi possible de rester au Cameroun. Pour les enfants, je pensais qu’il était préférable de rester au Cameroun. Ma profession me permettait de rester au Cameroun et ensuite ma belle famille, les amis que nous avions, mon mari et moi, m’ont permis de rester au Cameroun. Et enfin, peut-être que c’est parce que j’aime aussi beaucoup le Cameroun.
Vous présentez l’image d’une femme parfaitement intégrée à sa seconde patrie, sa terre de mariage. Pour preuve, vous avez une fondation qui porte le nom de votre époux. Sur quoi vous appuyez-vous pour vous intégrer au quotidien?
Je crois que, pour s’intégrer au quotidien, ce n’est pas très compliqué. Déjà les Camerounais sont ouverts envers les personnes qui sont différentes d’eux a priori. Je trouve qu’ils sont extrêmement intégrateurs. Ensuite, il suffit de s’adapter un peu. Pour y parvenir, il faut essayer de comprendre comment la société camerounaise fonctionne. C’est vrai, elle peut être très différenciée selon les régions du pays. Tout au Cameroun n’est pas forcement acceptable pour quelqu’un qui n’est pas Camerounais, d’origine différente, qui n’a pas grandi au Cameroun. D’autre part, les liens sociaux qui font aussi en sorte qu’on puisse s’intégrer. En ce qui me concerne, je pense que mon mari a beaucoup favorisé mon intégration. Il m’a expliqué le fonctionnement de la société camerounaise, le plus souvent compliqué à décoder, à traduire. On peut avoir l’impression qu’elle est à la fois très différente et pareille que la société que je connais, c’est-à-dire la société française. En fait, souvent, on se trompe.
Pourquoi avoir décidé de créer la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique Centrale?
C’est d’abord pour poursuivre ce que mon mari avait créé, c’est-à-dire un centre d’analyse et de prospective géopolitique pour l’Afrique centrale. C’est pour lui rendre hommage, parce que c’est lui qui avait fait connaître la géopolitique au Cameroun. Ensuite, parce que la Fpae correspond aussi à un besoin d’une part en terme de recherche sur l’Afrique centrale. C’est une région qui est assez peu étudiée, alors qu’elle recèle de nombreux enjeux géopolitiques. Enfin, l’idée était d’appuyer les étudiants, surtout et aussi les jeunes chercheurs de la région. Dans la mesure du possible, il s’agissait de favoriser leur recherche en créant un centre de documentation. Nous intégrons des étudiants en master ou en doctorat dans nos projets de recherche.
Après une dizaine d’années d’activités, peut-on estimer que vos objectifs sont atteints?
Oui! Les objectifs sont atteints, parce que la Fpae est un centre de recherche qui réfléchit sur les sujets concernant l’Afrique centrale. Elle produit deux publications, en l’occurrence Enjeux et Conjoncturis parce qu’elle est animée par une équipe scientifique et dynamique conduite par Mathias Eric Owona Nguini. Il coordonne toutes les activités scientifiques de la Fondation. L’équipe scientifique est pluridisciplinaire et participe aux projets que nous menons, en fonction des domaines de compétence et de la disponibilité de chacun des chercheurs.
Peut-on faire une esquisse de bilan?
Je dirais d’abord que c’est un défi permanent, parce que je pense qu’il est plus facile de vendre du ciment, des brosses à dent au Cameroun que d’intéresser ou de faire connaître ce que nous faisons. Il est plus facile d’acheter ou de vendre un tee-shirt à Yaoundé que de faire savoir qu’il y a une activité intellectuelle. Nous produisons des idées, des publications. Nous mettons aussi à la disposition des étudiants des ouvrages et organisons des moments de réflexion commune et d’échange.
Quelles perspectives pour la Fondation Paul Ango Ela?
2010-2011, il s’agit d’abord de consolider les acquis. Nous existons depuis 11 ans. Nous approvisionnons le centre de documentation par des nouveaux achats deux fois par an. Dans nos perspectives, nous prévoyons de continuer à assurer la publication de nos deux périodiques: Enjeux et Conjoncturis. Nous venons de publier une sélection raisonnée d’articles d’Enjeux, conduite par Mathias Eric Owona, rédacteur en chef de la revu, assisté d’un autre chercheur qui participe à nos activités depuis longtemps. Nous comptons poursuivre les projets dans lesquels nous sommes engagés, développer des partenariats de façon à ce qu’ils soient équilibrés.
Quelles sont les conditions d’accès à la grande documentation de votre fondation?
Je dirais qu’il suffit de venir pour avoir (rire) accès à la documentation. Il suffit de prendre un peu de son temps, de s’asseoir et puis de voir quels sont les ouvrages qui vous intéressent. C’est vrai, il y a une contribution, mais pour la journée, il me semble que la consultation reste raisonnable puisqu’elle est de 500 FCFA. Mensuellement, il faut prévoir 4.000 FCFA et annuellement 18.000FCFA.
Les Français n’ont pas toujours bonne presse au Cameroun. On les accuse de vivre en vase clos. Etes-vous au courant de ces griefs? Quel commentaire cela vous inspire?
Je pense que cela fait partie des idées reçues que nous avons tous les uns sur les autres. La relation camerouno-française est compliquée. Justement, à la Fpae, on a eu l’occasion de réfléchir dessus parce que nous avons mené une étude sur la perception de la coopération française au Cameroun. L’étude était conduite par Fred Eboko. C’est une relation de type «Je t’aime. Moi non plus.» Avec beaucoup d’attentes de part et d’autre et beaucoup de dépit amoureux. Maintenant, en termes de personne, je pense qu’effectivement c’est vrai, l’image des Français est de vivre en vase clos. Elle ne correspond pas du tout à la réalité. Vous serez certainement surpris de savoir qu’il y a beaucoup de Français qui ont des difficultés sévères. Je parle financièrement et ils sont extrêmement intégrés. Vous pouvez les trouver au fond des quartiers, des villes ou dans les brousses les plus reculées des campagnes. Ils sont très intégrés, parce que souvent ils ont des liens matrimoniaux avec des épouses camerounaises. Donc la situation des Français est extrêmement diversifiée. L’image qu’on a, c’est celle de l’expatrié nanti, qui elle aussi, est fausse; peut être pas par sa dimension nanti, mais souvent les expatriés sont eux aussi bien intégrés. Ils sont curieux de découvrir le Cameroun. Et bien souvent, ils le connaissent bien. Ils ont beaucoup visité le Cameroun, ils le sillonnent y compris pour leurs vacances parce qu’ils ont envie de découvrir et d’aller au fin fond du Cameroun, et ils le connaissent quelquefois davantage que certains Camerounais. Il ne faut pas non plus assimiler forcement la politique des Etats à la population qui est issue de ces Etats.
Quel regard jette votre fondation sur la coopération sino-camerounaise? Quel est votre point de vue sur cette entrée fulgurante du monde asiatique en Afrique et particulièrement au Cameroun?
La Chine est présente au Cameroun comme partout en Afrique. Elle a lancé une offensive, un déploiement en tant que puissance ascendante en particulier vers le continent africain. Il y a certainement des intérêts aussi pour le Cameroun à diversifier ses partenaires extérieurs. Maintenant, il me semble qu’il ne faut pas non plus se leurrer, les intérêts chinois sont assez évidents. Pour tout le monde, il s’agit de l’accès à la ressource. Il s’agit aussi peut-être d’un exutoire en termes de surplus de population. C’est aux dirigeants camerounais de savoir ce qu’ils veulent en tirer.
Vous êtes membre de plusieurs associations tant françaises que camerounaises. Comment parvenez-vous à joindre les deux bouts et par conséquent, honorer vos différents engagements?
Je me considère d’abord comme une citoyenne. Il me semble que, bien entendu comme citoyenne, on est obligée de s’engager de porter un certain nombre de valeurs qu’on peut avoir envie de les faire progresser. L’engagement associatif fait partie de toutes ces composantes. S’agissant particulièrement de ma vie avec les associations, je suis membre de l’Association solidarité sans frontière. J’en suis simple membre depuis longtemps, je n’y ai pas une responsabilité particulière. L’autre association à la quelle je participe, c’est Français du Monde-Adfe. Elle est une association des Français reconnue d’utilité publique en France. Elle organise des activités qui sont ouvertes, qui ne sont pas fermées sur la communauté française.
Votre quotidien, comment le vivez-vous?
Dans le quotidien, c’est peut-être un peu trop. Je suis tous les jours quasiment à la Fpae. Et même si je n’y suis pas, je suis en relation quotidienne avec le coordinateur administratif. Le coordinateur scientifique gère l’autre volet et mon rôle c’est plutôt de tenir le cap.
Qu’est-ce que vous appréciez au Cameroun?
Paradoxalement, c’est la liberté. Je pense qu’au Cameroun, la société est extrêmement libre. Le paradoxe est que, en fonction de ses valeurs, de ses principes, on décide de la limite de sa liberté parce qu’il y a toujours un pas à ne pas franchir. Cette situation a à la fois son défaut et sa qualité, c’est-à-dire tous les processus, les procédures, les façons de faire ne sont pas forcément extrêmement structurés au Cameroun et donc du coup, cela donne beaucoup de libertés aux individus. Et moi, je trouve que c’est le comble de la liberté, que de décider librement où elle s’arrête. En revanche, il est quelque chose qui me plaît beaucoup au Cameroun mais je comprends aussi que cela puisse agacer. C’est l’imprévu. On est tous les jours en situation nouvelle et jamais les choses ne se passent comme c’est prévu. C’est aussi ce qui fait partie du comble de la liberté. On est constamment en situation d’adaptation, les choses peuvent se passer de façon exceptionnelle, sans qu’on ne comprenne pourquoi. Tout peut bloquer alors qu’apparemment, tout est fait pour que ça se déroule bien. Et ça aussi, ça veut dire qu’on est tout le temps dans la surprise. C’est un pays petit piment.
Parlant de liberté, pensez-vous qu’il y a une liberté aussi au niveau de la presse au Cameroun?
Je pense en tout cas qu’en terme social, au Cameroun, on a une très grande liberté et en termes de liberté d’expression, on a aussi beaucoup de libertés, mais c’est en terme social, que je repose le paradoxe.
Que détestez-vous dans la société camerounaise?
Je ne dirai rien de spécifique au Cameroun, mais, de très général. Comme tout le monde, je n’aime pas qu’on m’embête, je n’aime pas qu’on m’oblige à faire quelque chose que je n’ai pas décidée. Mais, c’est comme tout le monde et ce n’est pas propre au Cameroun.
Il y a une habitude camerounaise qui vous énerve?
C’est vrai, ce qui me marque au Cameroun et qui souvent me choque, c’est qu’on vit constamment en insécurité, non physique, mais insécurité sanitaire par rapport à nos déplacements par exemple. Vous prenez la route pour Douala, vous avez un accident, si vous êtes blessé, vous n’êtes pas sûr que si vous avez une hémorragie, il y aura des secours qui vont arriver à temps. Donc insécurité sanitaire, de déplacement. Je pense que cette insécurité est ce qu’il y a de plus difficile à vivre pour l’ensemble des habitants du Cameroun, je dis bien des habitants.
Selon vous, comment faire pour y remédier?
Ce sont des problèmes qui sont liés au développement.
Quel est le mets que vous appréciez au Cameroun?
Qu’est-ce que j’aime manger? Des salades. Mais, comme mets camerounais, j’aime bien le gâteau de pistache, les «miondo», j’adore les prunes, et aussi j’aime bien le «Kelinkelin» mais avec du citron. L’alimentation camerounaise est très variée. Comme boisson, je préfère l’eau, de loin.
Il y a une habitude camerounaise qui vous énerve?
C’est vrai, ce qui me marque au Cameroun et qui souvent me choque, c’est qu’on vit constamment en insécurité, non physique, mais insécurité sanitaire par rapport à nos déplacements par exemple. Vous prenez la route pour Douala, vous avez un accident, si vous êtes blessé, vous n’êtes pas sûr que si vous avez une hémorragie, il y aura des secours qui vont arriver à temps. Donc insécurité sanitaire, de déplacement. Je pense que cette insécurité est ce qu’il y a de plus difficile à vivre pour l’ensemble des habitants du Cameroun, je dis bien des habitants.
Selon vous, comment faire pour y remédier?
Ce sont des problèmes qui sont liés au développement.
Quel est le mets que vous appréciez au Cameroun?
Qu’est-ce que j’aime manger? Des salades. Mais, comme mets camerounais, j’aime bien le gâteau de pistache, les «miondo», j’adore les prunes, et aussi j’aime bien le «Kelinkelin» mais avec du citron. L’alimentation camerounaise est très variée. Comme boisson, je préfère l’eau, de loin.
Dites-nous, selon vous pourquoi les veuves françaises aiment rester au Cameroun?
Il faut déjà qu’elles le puissent, c’est-à-dire en termes de conditions de vie, de revenus. Bien souvent, il y a des femmes qui partent difficilement parce qu’elles ne le souhaitent pas. Lorsqu’elles sont contraintes par leurs conditions de vie à partir, et souvent c’est un arrache cœur pour elles de partir. Si elles restent, cela peut être grâce aux conditions familiales, aux enfants qui sont encore là. Si les enfants vont faire des études à l’étranger dans un pays du nord, il est plus difficile pour elles de rester, mais il y en a souvent beaucoup plus qui restent plus que ce qu’on ne le pense.
Madame Ango Ela et la culture, que peut-on dire?
J’aime beaucoup la musique camerounaise, le Bikutsi et le Makossa, sauf quand elle est vulgaire.
Où passez-vous vos week-ends?
Je les passe généralement chez moi. Je ne vais pas en boîte de nuit, parce que je n’en ai plus l’âge ni l’envie. Je fréquente par contre des restaurants, parce que c’est un moment à partager avec des amis ou alors parce qu’on y travaille de façon plus détendue. Je trouve qu’il y a maintenant beaucoup de restaurants de qualité à Yaoundé, davantage qu’il y en avait il y a quelques années. Et même les restaurants spécialisés, particulièrement ceux de la cuisine camerounaise se sont développés y compris dans la logique des cabarets. Ils sont aussi agréables, on peut remarquer un renouveau important de tous ces lieux de détente.
Madame vous fumez beaucoup, pourquoi?
Il faut bien avoir des défauts (rire).
Avez-vous une histoire banale d’intégration à partager avec nos lecteurs?
Ce qui me semble important, c’est d’être considéré comme être humain. On l’est que l’on soit homme ou femme, on l’est aussi bien sur quelque soit sa nationalité. Une situation classique que je peux partager avec vous est la circulation en voiture. Quelque soit le pays où vous êtes, la circulation est propice aux pires insultes. Au Cameroun, la pire des insultes dans la circulation est de se faire traiter d’imbécile. Ce n’est pas quand même très méchant.
Un dernier mot à l’endroit de tous ceux qui vous entourent…
Alors, (rire) pour le personnel de la fondation, je pense que nous faisons un travail d’équipe, chacun a sa place. Chacun est important, il y a une sorte de synergie que nous avons partagée. Nous nous efforçons de faire en sorte que cette maison soit un centre de recherche reconnu dans la région Afrique centrale et au-delà. Pour mes amis camerounais, je dirai qu’ils sont mes amis. Nous avons fait beaucoup de choses ensemble depuis plusieurs années. On s’aime beaucoup, c’est ce qui fait qu’on est ensemble comme on le dit ici, surtout quand on se quitte.
Avec ma belle famille, les relations sont excellentes. Nous nous respectons énormément et je pense que c’est primordial. Pour les Français au Cameroun, dans le cadre de l’association des Français du Monde-Adfe nous nous efforçons d’améliorer la situation des uns ou des autres, de diffuser de l’information et de participer aussi à l’intégration des uns et des autres et d’améliorer les relations que nous avons avec l’administration qui nous représente ici.