Mon intervention lors du débat avec vote sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine (25/02/2014)

À l’occasion du débat sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine, je suis intervenue en séance publique le 25 février 2014.

Le compte-rendu intégral des débats est également consultable sur le site du Sénat.

 

Séance publique, mardi 25 février 2014

Kalliopi ANGO ELA, sénatrice écologiste

représentant les Français établis hors de France

10 min

 

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,

Mes cherEs collègues,

 

Nous sommes réunis cet après-midi, à la demande du Gouvernement, en vue d’un débat et d’un vote sur l’autorisation de prolongation de l’intervention de nos forces armées en République centrafricaine.

 

Ceci résulte de l’article 35 alinéa 3 de notre Constitution qui dispose :

« Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. […] »

 

Je me permettrai, tout d’abord, de souligner que notre précédent débat date du 10 décembre dernier. Il semble regrettable que nos échanges de ce jour ne puissent pas bénéficier du recul nécessaire.

Le groupe écologiste estime, évidemment, qu’il est indispensable que ce vote intervienne. Comme j’avais déjà eu l’occasion de l’indiquer dans cet hémicycle, les écologistes défendent même l’idée d’un vote dès l’engagement des forces armées françaises,  et non uniquement au moment de la prolongation de l’intervention.

Cependant, s’agissant aujourd’hui du vote autorisant le maintien de notre dispositif militaire en Centrafrique, peut-être aurait-il dû (comme le prévoit notre constitution) avoir lieu d’ici un mois et demi, afin qu’il se fasse sur un réel bilan de quatre mois depuis le début de l’opération Sangaris, qui a été entamée le 5 décembre 2013 ?

Rappelons, qu’à l’unanimité de ses membres, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, début décembre, le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine(MISCA) pour une période de 12 mois. Appuyée par des forces françaises, la MISCA est en particulier chargée de contribuer à protéger les civils et rétablir la sécurité et l’ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d’une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Comme je l’avais également indiqué en décembre, les écologistes considèrent que : « la capacité des pays africains d’assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien internationalet particulièrement européen. »

 

Dans cette perspective, nous prenons acte de l’annonce du renforcement des effectifs européens -prévu sous peu- correspondant à la demande de l’Union africaine, et s’ajoutant au soutien financier et logistique déjà mis en œuvre. Le drame sécuritaire et humanitaire, auquel il s’agit de mettre un terme, nécessite l’action collective de nos partenaires, dans l’intérêt des populations civiles centrafricaines et de la stabilité du pays. Plus largement, il en va de l’équilibre régional, les troubles qui secouent cette zone alimentant trafics de toute sorte (armes, contrebandes, …), que le groupe écologiste dénonce avec force.

 

Afin d’illustrer cette logique de multilatéralisation renforcée face aux enjeux immédiats de sécurité et de reconstruction de la paix, je soulignerai que, la semaine passée, la cheffe de l’Etat de la transition centrafricaine, ainsi que le secrétaire général des Nations Unies, ont appelé au maintien et au renforcement des forces en RCA.

 

Il me semble que nous ne pouvons rester insensibles à ces appels vus comme « une étape intermédiaire avant l’arrivée d’une opération de maintien de la paix en République centrafricaine » !

 

En effetle 17 février, Catherine Samba-Panza, lors d’une  visite au Tchad, a fait part à une délégation de députés français de son souhait de voir l’intervention militaire française prolongée jusqu’aux élections prévues début 2015.

 

Le 20 février, Ban Ki-Moon, demandait devant le Conseil de sécurité, le déploiement rapide « d’au moins 3000 soldats et policiers supplémentaires », pour rétablir l’ordre et protéger les civils.

 

Désormais, le président tchadien Idriss Deby Into s’y déclare également favorable, tout comme à la prise de relai par les forces onusiennes.

 

Or, comme le rappelait le secrétaire général de l’ONU, l’intervention des casques bleus « risque de prendre des mois à se mettre en place […] et la population centrafricaine ne peut attendre des mois, il faut agir maintenant pour éviter une nouvelle aggravation de la situation ».

 

En outre, un rapport d’Amnesty International, rendu public le 12 février, dénonce les violences interreligieuses qui persistent en Centrafrique, en dépit de la mise en place de la MISCA, et les exactions dont sont victimes les civils musulmans, entrainant « un exode  sans précédent ».

Au cours des dernières semaines, l’ONG a recueilli plus d’une centaine de témoignages directs sur les attaques « de grande ampleur » menées dans les villes de Bouali, Boyali, Bossembélé, Bossemptélé (qui connu plus de 100 victimes musulmanes le 18 janvier) et Baoro, dans le nord-ouest de la RCA. Amnesty reproche aux troupes internationales de n’avoir pas été déployées dans ces villes, laissant ainsi « la population civile sans protection et livrée aux attaques des milices anti-balaka. »²

La France doit donc évidemment rester attentive à la situation des musulmans de Centrafrique et œuvrer à leur protection.

 

Il me semble, dès lors, que le maintien de nos forces armées en République centrafricaine, sous mandat de l’ONU et en appui à la MISCA, doit être perçu comme une solution nécessaire et transitoire jusqu’à la mise en place d’une opération onusienne de maintien de la paix. Cette autorisation de prolongation répond à une urgence sécuritaire et humanitaire, et à l’appel du gouvernement transitoire de RCA, des autorités africaines, et du secrétaire général des Nations Unies.

Si la France ne peut rester indifférente à ces demandes et se doit de poursuivre ses efforts sous conduite des forces africaines, le groupe écologiste estime toutefois que notre pays ne pourra faire l’impasse sur la nécessaire réévaluation doctrinale de sa politique d’intervention.

Ainsi, nous souhaitons, Monsieur le Ministre, que vous nous apportiez des précisions sur cette question centrale de l’engagement de nos forces sur les théâtres d’opérations extérieures !

 

Les écologistes tiennent, également, à rappeler qu’il faut faire preuve de modestie et de prudenceet que la stabilité en Centrafrique s’inscrit nécessairement dans une logique de concertation avec les acteurs régionaux, qui devront être associés tout au long du processus de paix.

 

La sécurisation de la zone, permettant de faire cesser au plus vite les violences qui sévissent encore en RCA, est donc bien l’enjeu immédiat, passant par la poursuite du processus de désarmement de façon impartiale, et permettant la mise en place d’une aide humanitaire rapide et efficace.

 

Il s’agit donc de prévenir l’enlisement, et de relever un défi humanitaireconsidérable, plus d’un million de Centrafricains ayant fuit leur domicile pour se réfugier dans des camps de regroupement, en brousse, ou dans les pays frontaliers.

Le défi politique et institutionnel qui attend la Centrafrique -où l’administration est désormais inexistante – qui aboutira à des élections démocratiques en février 2015, ne doit également pas être sous-estimé dans un Etat qui devra entièrement se reconstruire, et où toutrecensement électoral prendra du temps à se faire.  Ces élections « post-conflit » nécessiteront, d’ailleurs, une forte harmonisation entre l’Union africaine, les ONG, et les observateurs internationaux – l’ONU principalement- dans la mise en œuvre et le suivi du processus électoral.

Le Président du Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, rappelait, il y a quelques jours, ces défis qui attendent la RCA.  S’il soutient le maintien des forces armées françaises, il se prononce plus largement en faveur de l’augmentation du contingent international, afin qu’une présence effective puisse être assurée sur tout le territoire centrafricain.

 

L’ultime étape, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises dans cet hémicycle, sera évidemment celle de l’aide au développement de la Centrafrique. Cette étape, chère aux écologistes,nous semble être la seule qui permettra au pays de se maintenir dans une paix durable.

 

Enfin, le groupe écologiste demande la tenue d’un débat dans une période de 6 mois, à compter de ce jour, afin d’évaluer  l’état d’avancement du processus  de désarmement, et l’instauration de conditions décentes de sécurité pour les Centrafricains, indicateur réel de la pertinence du maintien de notre dispositif militaire dans ce pays.

 

Pour toutes ces raisons, et sous les réserves évoquées, ci-avant, je voterai avec la majorité du groupe écologiste « pour » la prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine, trois de nos collègues  ayant néanmoins choisi  de s’abstenir.

 

 

Je vous remercie de votre attention.

 

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