Projet de loi « Valls » : vérification du séjour des étrangers et abrogation du délit de solidarité – Mon intervention en séance publique du 8/11/2012

Le 8 novembre s’est tenue la séance publique relative au projet de loi sur « la retenue pour vérification du droit au séjour et la modification du délit d’aide au séjour irrégulier ».
Vous trouverez, ci-dessous, mes prises de parole sur articles et l’explication de vote sur ce texte.

Le compte rendu intégral des débats est également consultable sur le site du Sénat.

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PRISE DE PAROLE SUR ARTICLE
Article 2
Retenue pour vérification du droit au séjour

 

 

 

 

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Monsieur le rapporteur, Mes cherEs collègues,

Comme j’aurai l’occasion d’y revenir, lors de la suite de cette discussion (et en particulier à l’article 8 du présent projet de loi), le groupe écologiste a pris la mesure du souhait du Gouvernement de rompre avec la politique d’hostilité envers les étrangers, défendue par l’ancienne majorité.
Ce que nous saluons et encourageons évidemment !

Nous avons également conscience de la spécificité de ce texte, tenant à son champ extrêmement circonscrit, et nous attendons (avec impatience) la réforme plus globale du CESEDA, rappelée par Monsieur le rapporteur.

Cependant, pour ce qui est de l’article 2 du projet, relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour, cette nouvelle mesure ne nous semble pas nécessaire.

Les sénatrices et sénateurs écologistes, avaient évidemment vivement contesté lors des débats de 2011 relatifs à la loi dite « Besson », la possibilité de punir d’une peine d’emprisonnement et de placer -de ce fait- en garde à vue, des étrangers, du seul fait de leur situation irrégulière sur le territoire français.

Notre groupe s’est donc félicité des décisions de la Cour de cassation, au mois de juillet dernier, tirant – enfin – les conséquences des exigences communautaires.

Cependant, il s’avère que nous ne considérons pas que ces décisions entraînent un vide juridique, qu’il serait nécessaire de combler par la création d’un nouveau régime de retenue.

Nous pensons que le dispositif actuel de vérification d’identité, applicable à tous, suffit amplement.

Nous contestons le principe même de création de mesures particulières et d’un régime de privation de liberté spécifique pour les personnes étrangères.

En outre, dans l’attente d’une réforme globale du droit des étrangers, ce nouveau régime s’inscrit dans le dispositif d’éloignement en vigueur, où la plupart des étrangers ne bénéficient d’aucun contrôle du respect de leurs droits par un juge indépendant.

Il faut, en effet, depuis la loi du 16 juin 2011, attendre 5 jours de rétention administrative, avant que le JLD ne puisse enfin se prononcer sur la décision de placement en rétention prise par le Préfet, et ce, à l’issue du délai maximal imparti au juge administratif.

En d’autre termes, si cet article 2 avait à être adopté en l’état, l’étranger retenu jusqu’à 16h en vue de vérification de son droit au séjour, qui serait ensuite placé en rétention administrative, risquerait d’être reconduit à la frontière avant même que le JLD n’est pu se prononcer sur la régularité de la nouvelle mesure de retenue.

Le fait que l’article 2 du projet de loi prévoit que le Procureur de la République puisse « mettre fin à la décision de retenue à tout moment » n’est évidemment pas suffisant à assurer l’effectivité des droits de l’étranger retenu, le Procureur n’étant pas considéré comme une autorité indépendante, comme l’a rappelé la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’arrêt France Moulin du 23 novembre 2010.

Enfin, je tenais à préciser que si nous étions défavorables à l’article 2 tel qu’issu du texte voté en Commission des lois, nous étions a fortiori opposés à l’amendement (n°26 rect.) déposé par le Gouvernement, prévoyant un renvoi à la rédaction initiale du texte, soit un délai allant jusqu’à 16h de retenue et non comme l’a voté la Commission un délai de 10h prolongeable 6h de plus.

Les écologistes contestent donc le principe même de cette mesure d’exception prévue par l’article 2 du projet de loi. Nous plaidons en faveur de l’application aux étrangers du délai de droit commun de 4h prévu dans le cadre des vérifications d’identité, et nous voterons donc contre cet article.

 

crédit photo Sénat

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PRISE DE PAROLE SUR ARTICLE

Article 5
Suppression du délit de séjour irrégulier

 

En décembre 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne affirmait qu’emprisonner un étranger en situation irrégulière était par principe incompatible avec son éloignement, et que cette sanction pénale ne pouvait intervenir dans le cadre d’un simple constat de séjour irrégulier.

Nous saluons donc la diligence avec laquelle le Gouvernement a su mettre le droit français en conformité avec les exigences européennes sur ce point.

Le symbole est fort !

Les étrangers en voie d’admission au séjour ne seront plus, après l’adoption de l’article 5 du présent projet de loi, considérés comme des délinquants.

En effet, le fait d’entrer ou de séjourner en France sans les autorisations administratives appropriées, constitue un délit pénal puni d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.

Ces peines ne seront donc désormais plus encourues pour les étrangers en situation de séjour irrégulier en France.

Nous regrettons, cependant, le maintien des dispositions pénales réprimant le délit d’entrée irrégulière sur le territoire. Comme cela fut rappelé dans le rapport de notre collègue Gaëtan Gorce, l’action publique se prescrivant dans un délai de trois ans, les étrangers entrés irrégulièrement en France, et s’étant maintenus depuis sur notre territoire, seront toujours inquiétés, les effets du maintien de ce délit étant équivalents au maintien du délit de séjour irrégulier.

Afin de remédier à ce paradoxe, qui prive de facto l’article 5 du projet de loi de sa substance, les sénatrices et sénateurs écologistes soutiendrons les propositions -du rapporteur et du groupe socialiste- consistant à réduire à 8 jours le délai durant lequel l’action publique peut être mise en œuvre.

 

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PRISE DE PAROLE SUR ARTICLE
Article 6
Création d’un nouveau délit
(maintien sur le territoire en situation irrégulière lorsque toutes les mesures ont été prises en vue de l’expulsion)

 

Les sénatrices et sénateurs écologistes regrettent la création de ce nouveau délit de maintien sur le territoire lorsque les mesures propres à permettre l’exécution de l’éloignement ont été effectivement mises en œuvre.

Ce délit ne découle en rien de nos obligations communautaires, mais d’une interprétation extensive – ou peut-être erronée ? – des jurisprudences de 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne.

En effet, comme cela a pu être rappelé lors de nos échanges, il s’agit d’une simple faculté laissée aux Etats membres.

Lorsque l’ensemble des mesures prévues par la directive « retour » ont effectivement été mises en œuvre par l’administration et, qu’en dépit de cela, l’étranger s’est maintenu sur le territoire national, les Etats membres « demeurent libres de le soumettre à des dispositions pénales destinées à le dissuader de demeurer illégalement sur leur territoire ». Je cite ici le rapport, page 35.
Rien n’oblige donc la France à créer un tel délit…

J’ai, par ailleurs, conscience des améliorations apportées par la Commission des lois, en ce qu’elle est venue préciser la notion de « mesures ». Il s’agit désormais des mesures prises « sous le contrôle de la juridiction administrative et de l’autorité judiciaire ». Mais là encore, le texte semble toujours trop imprécis.
Il encoure, dès lors, la censure du Conseil constitutionnel.

En outre, c’est la philosophie même de cette procédure qui rompt avec le sens que vous nous avez indiqué vouloir donner à ce projet de loi, Monsieur le Ministre.
Les écologistes se sont réjouis de la suppression du délit de séjour irrégulier, comme j’ai pu l’indiquer tout à l’heure, mais regrettent réellement qu’un « délit de substitution » soit créé à sa place.

Enfin, cette nouvelle incrimination n’est pas nécessaire, le délit de soustraction à une mesure d’éloignement (puni d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 10 ans d’interdiction du territoire) existant déjà dans notre droit.

Ni obligatoire, ni nécessaire, cette mesure ne sera pas votée par le groupe écologiste, qui s’y oppose.

 

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EXPLICATION DE VOTE FINAL

Je tiens, tout d’abord, à indiquer que les informations qui ont été apportées, lors des débats de ce soir, ont été pour moi extrêmement éclairantes.

En effet, un certain nombre de précisions données par Monsieur le Ministre, sur le prochain projet de réforme du droit des étrangers (prévu au premier trimestre prochain) rejoignent incontestablement les préoccupations du groupe écologiste.

Ainsi, je ne peux que me réjouir de l’annonce de la création d’une carte de séjour pluriannuelle, vraisemblablement d’une durée de 3 années, permettant aux étrangers présents sur notre territoire de ne pas avoir à faire renouveler chaque année leur titre. Cette innovation, nécessaire à l’intégration de nos concitoyens de nationalité étrangère, permettra certainement d’éviter bien des tracas administratifs actuels. Elle remédiera en particulier aux problèmes liés à la question des récépissés de renouvellement de carte de séjour temporaire d’une année. Ces récépissés occasionnent une réelle précarité et sont souvent un obstacle pour certains employeurs à l’embauche de la personne qui en est titulaire.

Je salue également l’engagement pris par Monsieur le Ministre d’améliorer le délai de traitement des demandes d’asiles en augmentant les effectifs de l’OFPRA et de la CNDA.

Vous avez, Monsieur le Ministre, évoqué lors de la discussion générale, l’attention que vous portiez aux élus soucieux d’intervenir en faveur de l’admission au séjour d’étrangers parfaitement intégrés sur notre territoire. Vous n’êtes pas sans savoir que nous faisons, avec mes collègues du groupe écologiste, partie de ceux-ci. Nous attendons donc beaucoup de votre prochain texte.

Par ailleurs, l’indication relative à la désignation d’un parlementaire en mission pour mener une réflexion globale sur l’intervention des juges judiciaires et administratifs, est un autre élément extrêmement positif.

Cependant, pour ce qui est du texte qui nous est aujourd’hui soumis, même si j’ai bien conscience du contexte particulier de son dépôt, il n’a pas suffisamment évolué lors de nos discussions, pour répondre aux attentes des écologistes.

J’ai exposé notre réticence à la création de la mesure de retenue de 16h, dérogatoire au droit commun, et créant une mesure spécifique aux étrangers. J’ai également regretté la création d’un nouveau délit à l’article 6 du projet de loi.

Si je salue l’adoption de l’amendement n° 28 déposé par la Commission, et la réduction du délai de prescription du délit d’entrée irrégulière sur le territoire, cette avancée n’est malheureusement pas suffisante.

Dès lors, les sénatrices et sénateurs écologistes ne pourront pas voter le présent projet loi, et ont décidé de s’abstenir.

Je vous remercie de votre attention.

 

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