Réflexions sur la crise sécuritaire de Bangui du 22 au 28 mars 2013, communiqué conjoint de Monique Cerisier Ben Guiga et Kalliopi Ango Ela paru le 24/06/2013

Bref rappel des faits
Le siège de Français du monde-adfe a reçu des témoignages concordants et accablants de Français de Bangui sur les violences dont ils ont été victimes lors de l’entrée de la Seleka dans la ville à partir du 22 mars. Kalliopi Ango Ela, sénatrice représentant les Français établis hors de France, a suivi au jour le jour, dès le 22 mars, la situation en lien direct avec les Français restés à Bangui. Elle s’était mise en rapport avec Didier Le Bret, directeur du Centre de crise, et elle a été en relation avec les Français victimes de la crise pendant son déroulement dans la mesure où les moyens de communication fonctionnaient. Français du monde-adfe a communiqué avec ses adhérents et avec l’ambassadeur de France à Bangui pendant cette même crise.

Dans les témoignages que nous avons reçus, les Français de Bangui, responsables d’ONG, directeurs d’usine, mères de famille, donnent un compte-rendu détaillé de ce qu’ils ont vécu : isolement de familles prises au piège au milieu des combats s’abritant sous une table ou dans une douche. Alors que l’ONU et ses agences regroupaient leurs personnels et organisaient leur évacuation, nos compatriotes n’ont jamais reçu qu’une consigne « Restez chez vous ». « Chez eux », cela a été très vite : les irruptions d’hommes en armes, souvent avinés et drogués, tirant à la kalachnikov, menaçant, pillant. Ils se sont donc regroupés spontanément, n’ayant plus de « chez soi », dès que cela leur a été possible… pour se retrouver dans un hangar poussiéreux, où rien n’était préparé pour les accueillir.

Enfin, aucun ordre d’évacuation n’ayant été donné, ils ont dû payer leur retour en France sur le vol Air France, payer pour obtenir les laissez-passer quand leurs papiers avaient disparu dans la tourmente. Du vendredi 22 mars au mercredi 27 mars où ils ont été enfin transférés au camp militaire français de M’Poko à l’aéroport, nos compatriotes ont connu la terreur et l’absence de secours convenable des services diplomatiques. En revanche, l’accueil de l’armée au camp militaire est salué par tous les témoins.

La gestion politique et administrative de la crise sécuritaire
Les décisions relatives à la sécurité des Français établis à Bangui au moment de l’entrée dans la ville de la Seleka à partir du 22 mars 2013 ont été prises collectivement par les plus hauts responsables concernés dans les différents ministères et inspirées en partie par la conviction que la France ne devait pas abandonner la Centrafrique. L’idée d’une évacuation massive a donc été abandonnée pour ne pas donner un signal négatif au peuple centrafricain : les Français sont en effet, par leur seule présence dans un pays, le témoignage de la volonté gouvernementale de maintenir des liens avec un peuple. Ceux de Centrafrique ont payé un lourd tribut à ce principe en vivant cinq jours de terreur dont leurs représentants institutionnels et associatifs prennent la pleine mesure.

A la suite des entretiens que nous avons eus l’une ou l’autre avec Monsieur Jean-Christophe Belliard, directeur de l’Afrique et de l’Océan indien au ministère des Affaires étrangères, Monsieur Didier Le Bret, directeur du Centre de crise du ministère des Affaires étrangères, Monsieur Serge Mucetti, Ambassadeur de France en Centrafrique, Monsieur Denis Pietton, directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, nous pouvons tirer plusieurs enseignements de la gestion de la crise politique survenue en Centrafrique à partir du 22 mars.

Il apparaît d’une part que l’amplitude de la crise qui commençait a été sous-estimée car elle a paru moins importante que les violences connues par la RCA en décembre 2012. A ce moment-là, en effet, le président Bozizé appelait au meurtre des Français. Or, si les Français sont sortis indemnes de la crise de décembre, c’est parce qu’à cette période, une partie des familles françaises étaient en vacances hors de Bangui. Fin mars, tous les ressortissants français étaient sur place : la population en danger était bien plus nombreuse et c’est un facteur qui ne semble pas être suffisamment entré en ligne de compte. D’autre part, en décembre, la violence était restée aux portes de Bangui alors que cette fois-ci la capitale n’y a pas échappé. L’Administration du ministère des Affaires étrangères a renoncé à l’évacuation pour des raisons politiques accentuées par la réticence de l’Armée française à mettre ses soldats en situation de tirer sur des civils centrafricains ou sur des soldats de la Seleka et de devenir ainsi partie prenante dans ce conflit interne à la Centrafrique.

Il apparaît d’autre part que l’Ambassade de France en Centrafrique, comme toutes les ambassades en Afrique, est en sous-effectif de façon permanente. En outre, le poste diplomatique de Centrafrique ne disposait pas de lieu de regroupement équipé ni de moyens financiers dédiés. Dans le contexte de tension budgétaire actuel et compte tendu de la difficulté à trouver des candidats qualifiés, disponibles et décidés à s’expatrier en célibataires géographiques dans ces postes, on ne peut pas espérer que cette situation s’améliore à court terme.

Pour l’avenir, des enseignements doivent être tirés de cette crise.
Dans les pays les plus à risques, l’expatriation en famille, surtout avec de très jeunes enfants, devrait être clairement déconseillée. Les personnels de l’Etat, de l’AEFE, de l’Alliance française devraient être clairement informés des risques particuliers qu’ils encourent et des mesures à mettre en œuvre pour assurer leur sécurité avant d’accepter leur affectation. Ainsi, dans la mesure du possible, l’emplacement du logement doit être décidé en fonction, par exemple, de la possibilité d’accéder rapidement à l’aéroport ou à un point de regroupement. Il doit être éloigné des points stratégiques tels que le Palais présidentiel ou la Radio-télévision nationale.

Dans les pays soumis à des risques de conflits armés soudains, avec exactions, viols et pillages à craindre en raison des antécédents, il semble indispensable de prendre des mesures d’évacuation sélective préventives (enfants, femmes enceintes, ressortissants dont la santé est précaire). Il est nécessaire de préparer des centres de regroupement pour plusieurs jours de protection : rester chez soi, isolé, quand la ville est livrée au pillage, n’est pas une solution adaptée.

Dans la mesure du possible, il faudrait que le centre de crise élabore une échelle de risques sur le modèle de Vigipirate afin que les communautés françaises prennent mieux conscience de l’ampleur exacte des menaces et supportent mieux des consignes de sécurité répétées.

Enfin, les plans de sécurité ne peuvent fonctionner que si les ilotiers sont des résidents stables, qui ne sont pas les premiers à partir et qui savent à qui passer le relai et le matériel lors de leurs absences.

La responsabilité de l’Etat et des employeurs vis-à-vis de la sécurité respective de leurs agents et salariés, est engagée. Elle est aussi moralement engagée envers tous les Français qui prennent le risque de maintenir leurs entreprises de continuer leurs activités professionnelles diverses et d’assurer ainsi une présence française multiforme et pérenne dans des pays à risques. Cela doit inciter tous les échelons de la prise de décision et de l’action en matière de sécurité des communautés françaises lors des conflits armés à la plus grande prudence.

Monique Cerisier ben Guiga, présidente de Français du monde-adfe
et
Kalliopi Ango Ela, sénatrice représentant les Français établis hors de France

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